Alors qu’un monument de la scène française renaît, un géant de la culture pop américaine s’effondre. Le retour triomphal de l’opéra rock Starmania à Paris coïncide ironiquement avec l’annonce de la fin des chaînes musicales de MTV en Europe, clôturant un chapitre majeur de l’industrie. Ces deux événements, bien que distincts, illustrent la profonde mutation de la consommation du spectacle musical, entre la puissance intacte du live et la migration du format vidéo.
Le retour de l’opéra rock culte
Après un succès notable récemment, Starmania est de retour à la Seine Musicale pour une deuxième saison avant d’entamer une nouvelle tournée française. C’est une occasion renouvelée pour le public de (re)découvrir l’œuvre mythique de Luc Plamondon et Michel Berger, créée il y a plusieurs décennies. Plus de quarante ans après sa naissance, cet opéra rock n’avait pas été joué en France depuis de longues années.
Une production modernisée à grand déploiement
Cette septième version du spectacle bénéficie d’une équipe créative de premier plan. La mise en scène est assurée par Thomas Jolly, tandis que la production est signée Thierry Suc, déjà aux manettes des concerts gigantesques de Mylène Farmer. Le directeur artistique des collections femmes de Louis Vuitton, Nicolas Ghesquière, signe les costumes, et le chorégraphe Sidi Larbi Cherkaoui a imaginé les mouvements de la troupe. Le défi était de taille : faire résonner des classiques comme « Quand on arrive en ville », « Le Monde est stone » ou « S.O.S. d’un terrien en détresse » avec une nouvelle génération d’artistes, succédant aux légendaires Daniel Balavoine et France Gall.
Un spectacle visuel mais fidèle à la noirceur
La nouvelle version de Starmania est avant tout un choc visuel. Les moyens déployés sont colossaux, avec des jeux de lumière impressionnants, incluant lasers et stroboscopes, et des décors physiques imposants. Cette production respecte la nature profondément sombre de l’histoire originelle, ce qui se traduit par une mise en scène et des chorégraphies assez brutes, parfois minimalistes ou violentes. La pyrotechnie est aussi de la partie, avec des étincelles jaillissant d’une voiture ou une fumée dense précédant « Stone, le monde est stone ». Thomas Jolly propose de belles trouvailles, comme lorsque Cristal et Johnny Rockfort sont filmés en coulisses et retransmis sur écran géant. Côté performances, le Québécois David Latulippe, qui incarne Zéro Janvier, se distingue particulièrement avec son interprétation du « Blues du businessman ».
Pendant ce temps, l’empire MTV s’effondre
Alors que Starmania prouve la vitalité du spectacle vivant, l’institution qui a défini l’esthétique musicale des décennies passées vit ses derniers jours. Les rumeurs sur la mort du vidéo-clip ont toujours été exagérées, mais le déclin de MTV est, lui, une réalité tangible. La chaîne, lancée en grande pompe à ses débuts, n’est plus que l’ombre d’elle-même. Aux États-Unis, MTV et CMT (la chaîne country) brûlent à petit feu, préférant diffuser en boucle des émissions de télé-réalité comme Catfish ou les 46 saisons de Ridiculousness. Jersey Shore: Family Vacation s’éternise, tel un otage de sa propre gloire passée.
La stratégie de la coupe à blanc
Le propriétaire des chaînes, Paramount, mène une politique de réduction drastique des coûts. Le groupe a récemment annoncé la suppression des chaînes musicales MTV au Royaume-Uni et en Europe. Auparavant, ce fut l’arrêt des CMT Awards, après deux décennies, et l’annulation de Hot 20 Countdown, la dernière émission musicale de CMT. Cette stratégie de démantèlement laisse un vide là où, autrefois, la chaîne créait les tendances.
Le vidéo-clip n’est pas mort, il déménage
Pourtant, le format lui-même, le vidéo-clip, reste l’outil le plus puissant pour fabriquer des stars. Les artistes, de Lady Gaga à Taylor Swift, continuent de l’utiliser pour « faire du bruit » et marquer les esprits. La révolution est que le support a changé. Le public dévore les vidéos sur YouTube, et Spotify vient d’annoncer son intention de déployer les clips musicaux aux États-Unis et au Canada, permettant aux utilisateurs de basculer de l’audio à la vidéo.
L’héritage
L’héritage de MTV – Prince, Madonna, Michael Jackson, Nirvana, Britney – reste indélébile. L’ironie de l’histoire est que l’innovation de la chaîne était née du désespoir : à ses débuts, avec 24 heures d’antenne à remplir et peu de contenu, MTV avait dû diffuser des artistes britanniques « bizarres » comme Duran Duran ou Culture Club, que la radio ignorait. Ils en avaient fait des superstars mondiales. Aujourd’hui, cette « machine à rêves » s’est simplement déplacée en ligne.